Une solution philosophico-politique

«  Considère comme un ennemi public quiconque hait le peuple. »

– Cléobule de Lindos

Le texte qui suit concerne une proposition de résolution de conflit sur la hausse des frais de scolarité. Cette proposition a été formulée dans un texte de mon camarade et ami Éric Lecuyer, texte ayant pour titre « proposition menant à une résolution immédiate du conflit étudiant ». Je tenterai pour ma part de faire valoir l’intérêt particulier que représente cette option ainsi que l’originalité de la démarche, en tant que dépassement de la contradiction interne au conflit, par une brève analyse de son contenu. Je parlerai, pour l’essentiel, de violence symbolique et de principe dialectique.

Parce qu’il a été porté au pouvoir par un nombre de partisans moindre que le nombre d’abstentionnistes complètement désabusés que l’on ne compte plus dans la province, et parce qu’il a sciemment oublié que l’idée de démocratie implique un minimum de dialogue avec le peuple dans la gestion des affaires étatiques, le gouvernement Charest doit impérativement, et depuis toujours, nous convaincre qu’il est légitime, tant dans son être que dans ses actes. Tel est le cas dans à peu près tous les ministères libéraux, celui de l’éducation, des loisirs et du sport n’y faisant pas exception.

Le problème de légitimation du gouvernement pour instaurer l’ordre dans la société qu’il prétend défendre passe d’abord par la légitimation de l’ordre symbolique. Le gouvernement tente de légitimer l’ordre symbolique qui est le sien propre afin d’incorporer les nouvelles générations (la jeunesse étudiante) au monde socialement objectivé (libéralisme économique étendu à toutes les sphères de la société), et ainsi maintenir l’ordre social au sein de la communauté. L’abstraction de la juste part s’inscrit alors comme violence symbolique lorsque le gouvernement se fait l’apôtre d’une justice que jamais il ne définit, et qu’il pose cette juste part comme une objectivité incontournable. C’est cette même objectivité incontournable que l’on a pu repérer dans le discours d’Alain Bourdages, inspecteur-chef de la planification opérationnelle au SPVM: « On considère les gaz lacrymogènes moins dangereux pour la sécurité des policiers et des manifestants que les contacts physiques comme les coups de bâton ». Bien sûr, les coups de bâton sont plus dangereux, mais pourquoi le bâton est-il proposé comme étalon de mesure, comme nécessité immuable, comme allant de soi? N’est-ce pas ici l’État comme détenteur du monopole de la violence légitime qui est à l’oeuvre? Il faut bien comprendre, pour pouvoir évaluer les possibilités réelles de gagner au bras de fer avec le gouvernement, qu’avant même l’annonce de la hausse des frais de scolarité, nous étions déjà pris, malgré nous, dans l’univers des modalités économiques imposé par la toute-puissance du marché concurrentiel promu par le capitalisme monopoliste d’État.

Considérons l’imposition de la hausse des frais de scolarité comme la thèse, et la grève étudiante comme l’antithèse d’une dialectique qui, dès l’annonce de la hausse des 1625$, a insidieusement pris place sur le terrain de l’économie. Les deux termes (thèse et antithèse) ne relèvent que de l’esprit de contradiction. Ce premier mouvement de la dialectique (se poser en s’opposant) est, fondamentalement, un conservatisme qui exige la répétition conflictuelle en tant que refus de la dépasser: les deux positions idéologiques sont dualité, mais aussi complémentarité. Lecuyer propose une solution visant le plus rapidement possible à mettre fin à cette relation d’engendrement réciproque de la thèse et de l’antithèse où les chiffres de l’un se voient contredits par les chiffres de l’autre, encore, toujours et ainsi de suite, nonobstant la rigueur des études avancées par certains spécialistes particulièrement bien informés.

Tant que durera la grève, on ne peut s’attendre qu’à un petit gain substantiel ou à une perte. Tant que durera la grève, les médias délaisseront la question du Plan nord, des gaz de schiste, de la corruption et de la collusion pour déplorer le triste sort d’une fameuse paire de lunettes ministérielles ou pour vanter quelques slogans puisés ça et là dans la rue. C’est là, bien malgré nous, un conflit qui profite politiquement au gouvernement, si tant est qu’il soit toujours au pouvoir. La volonté de faire éclater les bornes imposées et de rentrer avec force sur le terrain politique (en tant que seule opération synthétique pouvant dépasser la contradiction interne au conflit) me semble être la plus intéressante solution et, avant tout, la plus citoyenne.

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Proposition menant à une résolution immédiate du conflit étudiant

Le mouvement étudiant et le gouvernement de Jean Charest sont présentement dans une impasse. Comme aucune des deux parties n’est prête à revenir sur ses positions en regard à la hausse des frais de scolarité, nous pouvons présumer qu’aucune négociation d’ordre économique ne puisse porter fruit. Ce faisant, il est impératif de trouver une solution satisfaisante en dehors d’un cadre strictement financier en forçant le gouvernement à négocier sur un tout autre terrain.

En ce sens, notre proposition offre une issue strictement politique au conflit : quand le gouvernement refuse d’écouter la population qu’il a le devoir de représenter, la population a le devoir de changer de gouvernement. Nous devons cesser de perdre notre temps à essayer de négocier avec des dirigeants outrageusement corrompus, vendus aux compagnies d’asphalte, aux firmes de génie-conseil ainsi qu’aux autres grands argentiers du parti.

Notre proposition va précisément dans cette voie :

L’ensemble de la communauté étudiante en grève accepte de retourner en classe immédiatement après le déclanchement d’élections générales au Québec.

Voyons maintenant ce que notre proposition implique.

Le gouvernement sera sérieusement mis dans l’embarras. Le mouvement étudiant offrirait à Jean Charest la possibilité de mettre fin à la grève instantanément en mettant ses sièges en jeu. S’il accepte, il entrera en période électorale dans les pires conditions imaginables, étant détesté par une écrasante majorité de l’électorat et devant composer avec la prémisse d’un certain printemps québécois. Les étudiants seront également en mesure de canaliser l’énergie de leur mouvement dans des actions servant à contrer une hypothétique réélection de Jean Charest.

Or, si ce dernier refuse, il démontrera incontestablement la faiblesse de sa position. Tous pourront alors constater qu’il n’est rien d’autre qu’un poltron qui s’agrippe obstinément au pouvoir sans l’accord de la population. La grève continuerait, les infrastructures seraient encore quotidiennement bloquées et des fonds publics seraient toujours dilapidés pour payer les mercenaires gazeurs de foules. Avec notre proposition sur la table, la collectivité québécoise aura tôt fait de demander des élections au plus vite, à la fois pour mettre fin à la grève et pour montrer la porte au gouvernement Charest.

Vous aurez compris qu’il s’agit d’un pari qui nous condamne à la victoire. Nous pouvons à la fois maintenir fermement nos revendications, retourner en classe et changer de gouvernement. Avec l’atmosphère d’effervescence printanière qui a cours actuellement au Québec, nous pourrions difficilement imaginer un meilleur timing pour le déclenchement d’une élection générale. Jean Charest le sait et c’est pour cette raison qu’il tente de repousser à son ultime limite la date du scrutin. Obligeons-le à tester la volonté du peuple!

Si cette proposition vous interpelle, si vous pensez, comme nous, qu’il s’agit de la seule solution qui puisse nous faire sortir du conflit la tête haute, nous vous invitons à la propager partout autour de vous et à en proposer l’adoption dans vos assemblées générales respectives.

Nous vaincrons,

Eric Lécuyer

Membre du comité exécutif du département de sciences des religions de l’UQÀM

Retour sur l’assemblée de l’AFESH

Vous pouvez consulter la proposition officielle ici.

Je vous invite aussi à lire « Une solution philosophico-politique » par Marc-Antoine Fournelle

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Que le changement soit

Aujourd’hui et pour une énième fois depuis le début de notre grève, au cours d’une conversation animée à propos de la corruption et la mauvaise gestion gouvernementale, je me suis fait servir cette ritournelle bien connue : « La corruption, la mauvaise gestion, il y en a toujours eu et il y en aura toujours. On ne peut rien y faire. Vous les jeunes, faut pas trop en demander, parce que vous allez voir en vieillissant qu’il est impossible de changer le monde. »

Ils sont effectivement nombreux et nombreuses à nous avoir précédés dans cette société qui, du point de vue de leur expérience citoyenne, en sont arrivés à la triste conclusion qu’il est impossible de changer le monde. Ce fatalisme, imposé à la manière d’une sagesse ancestrale ou d’une loi naturelle, s’accompagne le plus souvent d’allusions à nos idéaux utopiques de jeunes insouciants, nous qui finirons pourtant, comme tout le monde, par nous ramollir, lâcher prise et, tant bien que mal, nous faire au moule et finir par nous y sentir à l’aise.

Je ne peux que m’interroger sur les raisons qui font que cette morale à deux sous a le don de m’irriter au plus vif. Pourquoi, en effet, ces propos ont-ils pour effet de provoquer chez moi un refus viscéral qui a tout à voir avec l’instinct de survie?

***

J’ai le souvenir flou mais pourtant vivace de la peine creusant les visages de mes parents au lendemain de l’échec référendaire de 1995. J’avais 10 ans et bien peu de repères pour comprendre l’importance déchirante de ce moment. Je savais pourtant dans mon cœur de petite fille que l’heure était aussi grave que mes parents dévastés. Je n’ai compris que plus tard l’ampleur du désastre émotif. Ma mère et mon père ne m’ont jamais parlé de politique. Ils ont continué à voter pour le moins pire des partis, mais sans jamais y mettre du cœur, sa jamais oser se laisser gagner par le moindre souffle d’idéal. Même que lorsque j’ai commencé à développer par moi même un certain intérêt pour la réflexion politique et l’engagement citoyen, ils ont jugé bon de me mettre en garde contre l’abus d’espoir et d’idéal, probablement dans le but de m’éviter les désillusions qu’ils ont eux mêmes eu à encaisser.

J’ai aujourd’hui beaucoup plus d’outils pour comprendre le désarroi de la génération qui m’a précédée. Face aux espoirs fracassés, il semble que c’est toute une collectivité qui a jeté l’éponge, retirant du coup sa confiance envers les processus démocratiques et les initiatives citoyennes. Les luttes visant la construction d’une société meilleure ont perdu à ce moment leur sens fondamental; elles ne pouvaient désormais qu’être menées en vain. Je comprends aussi mieux maintenant comment l’avènement la société de marché mondialisée est venue enrober cette blessure, l’apaiser à la manière d’une drogue insidieuse, alors que sur les décombres référendaires continuait de s’effriter le tissus social québécois. Tant et si bien que malgré la proximité quotidienne, les gens se sont sentis de plus en plus isolés et impuissants face à l’empire grandissant de l’individualisme et de la consommation de masse. La blessure est encore douloureuse au cœur de bien des nôtres. Je comprends intimement la peine et le repli qu’elle a pu engendrer.

Il reste que pendant que les citoyen.ne.s souverainistes pansaient dans un coin leur blessure collective, pendant qu’une part importante de la population se détournait de la politique active et revendicatrice pour se berçer aux refrains nostalgiques du PQ (« Mais nous, nous serons morts mon frèèèèèèreeeeee…. »), nos institutions politiques se sont vues désertées par celles et ceux qui en faisaient toute la valeur démocratique. Pire : celles-ci se sont vues accaparées par les multinationales, les compagnies exploiteuses de ressources (humaines et naturelles) et la mafia. C’est ainsi que des minorités menées par leurs intérêts financiers se sont vues abandonnées pratiquement toutes les commandes du navire collectif.

***

À en croire plusieurs, il nous faudrait, nous, les jeunes, faire nôtres le fatalisme et les désillusions de celles et ceux qui nous ont précédés, être « raisonnables » et baisser les bras avant même d’avoir débuté le combat. Il nous faudrait hériter d’institutions politiques dysfonctionnelles et parasitées en acceptant que nous ne pouvons rien y changer. Bref, il nous faudrait accepter de reproduire sans broncher ce modèle d’une citoyenneté « cassée » et passive, réduite à sa seule fonction électorale.

Si j’avais eu à digérer deux échecs référendaires et l’âge d’or de la société de consommation, j’aurais probablement, moi aussi, renoncé à mes idéaux politiques pour investir mon cœur et mon âme dans mes REER. Mais ce vécu pour le moins traumatisant n’est heureusement pas le mien. Politisée au sein de la gauche altermondialiste, écologiste et libertaire, informée aux médias indépendants, formée en sociologie et en anthropologie, mon court chemin de vie m’a ouvert des perspectives bien différentes sur l’infinité des possibles s’offrant à notre société.

Mes études m’ont rapidement ouvert les yeux sur la nature purement idéologique du modèle néolibéral, qui se présente pourtant comme la seule voie d’évolution possible. L’anthropologie a depuis longtemps mis en lumière l’omniprésence, dans l’histoire humaine, de sociétés se fondant sur d’autres principes que celui de la prédominance de l’économique sur les autre sphères du social. Même dans la société la plus consumériste, ils sont immenses, les domaines de l’existence humaine qui échappent au strict calcul économique. Elles sont rares, les personnes qui abordent la question de leur « valeurs » dans une pure optique de profit et de productivité. Pourtant, ces valeurs orientent jour après jour les choix de chacun, au point où ils finissent bien souvent par colorer le parcours de toute une vie.

La sociologie enseigne fondamentalement que les citoyen.ne.s sont les principaux acteurs et créateurs de leur société, en ce qu’ils reproduisent plus ou moins fidèlement, selon le contexte, les modèles dont ils héritent. Ainsi, les sociétés sont avant tout le fruit des réflexions et des choix collectifs et non celui d’une fatalité qui fait que les gros, les riches, les puissants gagnent toujours depuis l’aube des temps. En leur temps, les mouvements contestataires portés par les esclaves, les noirs et les femmes se sont eux aussi fait servir ce refrain de perdant. À quoi ressemblerait notre monde s’ils y avaient crû? Nul ne peut nier aujourd’hui que leurs espoirs et leurs idéaux les ont mené quelque part, que le monde a réellement changé du fait de leurs luttes solidaires.

Une chose que j’ai apprise à m’impliquer au sein de groupes et des milieux plus radicalement politisés est la force immense de l’action collective. Seul, on vient rapidement à bout de nos ressources d’énergie et de motivation; l’impact de nos actes est limité. Ensemble, non seulement nous pouvons faire plus avec moins d’énergie individuelle, mais notre énergie et notre motivation se trouvent multipliées par l’appui et l’encouragement de celles et ceux avec qui nous engageons notre cœur et nos maigres moyens.

Ma vie quotidienne au sein du réseau alternatif québécois carbure aux solutions, aux collaborations et aux solidarités qui font la vie bonne et pleine de sens. Avec un revenu qui dépasse rarement les 10 000$ par année, je vis pourtant dans une abondance certaine, car si les sous se font parfois rares, les amitiés et les ressources, elles, ne manquent jamais. Tout de ma courte expérience de vie dément ce fatalisme et ce défaitisme que l’on voudrait me léguer.

***

Nous qui nourrissons cette grève de nos valeurs et de nos espoirs, n’avons pas mal à notre cœur citoyen, pas plus que nous ne redoutons la défaite. Au contraire, notre cœur est en fête et peu importe l’issue de la lutte, nous nous souviendrons toute notre vie de l’énergie engendrée par notre action collective. Nous nous souviendrons de ce sentiment indicible d’unité qui nous a saisis tout entiers lorsque par dizaines de milliers, nous avons posé ce même acte démocratique de s’allier au delà de nos différences pour une cause commune. Nous ne baisserons pas les bras, car nous avons intimement conscience de notre pouvoir citoyen. Chaque coup de matraque, chaque jet de poivre ou de gaz irritant, chaque arrestation arbitraire n’a pour effet que de semer et de faire grandir en nous la colère et l’énergie qu’il faut pour nourrir notre engagement social et politique pour toute notre existence à venir.

Dans la victoire comme dans la défaite, nous resterons amoureux de notre société. Nous deviendrons des avocats et des médecins populaires, des organisateurs communautaires, des professeurs philosophes, des maraîchers bios, des planteurs d’arbre, des journalistes et des cinéastes indépendants, des micro-économistes, voire, qui sait, des politiciens intègres. Nous resterons cohérents, incarnant nos valeurs dans chacun de nos choix de vie et de consommation. Nous ne baisserons pas les bras, jusqu’à ce que le changement soit!

À celles et ceux qui seraient tentés, dans le contexte ambiant, de se laisser sombrer dans le fatalisme et la désillusion, je dirais ceci : il suffit de dire non aux injustices et aux incohérences. Pas seul chez soi ou dans l’intimité peu compromettante d’une ligne ouverte ou d’un courrier du lecteur, mais ensemble, par nos choix et nos actes quotidiens, dans notre espace public, nos rues, nos parcs, nos institutions. Il suffit de s’impliquer, de se commette solidairement dans la sphère politique pour que tous les horizons, même les plus utopiques, nous soient à nouveau largement ouverts.

La démocratie, bien au delà du vote, est avant tout ce dialogue constant et fertile qui fait de la somme des citoyen.ne.s une entité sociale vivante qui nous transcende tout en habitant le plus intime de notre être. De s’impliquer ensemble dans des projets qui nous font la vie meilleure nous fera construire des liens sociaux d’une telle solidité qu’aucun gouvernement, aucune multinationale, aucune défaite référendaire ne pourra jamais les saborder. Plus encore : c’est par ce mouvement d’implication partant de la volonté consciente de chaque personne que ce projet de changer le monde quitte ici et maintenant le domaine de l’utopie pour s’enraciner solidement au cœur même de notre réalité collective.

Que le changement soit.

Émilie

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LA GRÈVE ÉTUDIANTE, L’ÉCONOMIE ET NOTRE MANQUE DE COEUR

Je ne vous parlerai pas de chiffres, puisque les chiffres, utilisés à outrance, stérilisent les passions et assèchent l’âme. Je ne vous parlerai pas d’utilitarisme, puisque l’utile, s’il règne en maître, assombrit la folie et réduit les possibilités. Je ne vous parlerai pas de rentabilité, ni de courbes graphiques, ni d’investissement, ni de comparaisons sociopolitiques, puisque toutes ces notions outrageusement techniques sont déjà abondamment sollicitées dans le Grand Bal pseudo-dialectique du pour-ou-contre-la-hausse-des-frais-de-scolarité qui accapare le débat public actuellement.

Je vous parlerai plutôt d’une idéologie, voire même d’un acte de foi. Je vous parlerai plutôt d’une croyance, proprement humaine, qui surpasse toutes formes de contre-arguments raisonnés, tellement elle s’accoquine avec le dogme et donc, avec l’absolutisme. Mais de quelle idéologie fais-je allusion me demanderez-vous? Celle qui porte le visage de l’économique vous répondrai-je. En quoi cela affecte-t-il le blocage du pont Jacques-Cartier par une faction de jeunes étudiants « hyper-testostéronés » et TOTALEMENT déconnectés de la réalité des contribuables-automobilistes me répliquerez-vous? En tout, vous rétorquerai-je.

La manifestation étudiante qui bat son plein présentement au Québec n’est certainement pas une fin en soi, mais plutôt le symptôme d’une crise sociale, qui dépasse la simple situation de l’éducation postsecondaire. C’est de cette même crise que se réclament les milliers d’éducatrices en CPE; c’est de cette même crise que se réclament les propriétaires refoulés à grands coups de sabots par les compagnies gazières qui ne visent, ultimement, que l’extraction des gaz de schiste; c’est de cette même crise que se réclament les premières nations, craintives de voir les multinationales minières saigner à blanc leurs terres ancestrales et sabrer à mort leurs traditions séculaires; c’est de cette même crise que se réclament TOUS les indigné(e)s du monde, ces représentants du 99% de l’humanité, forcés à vivre et survivre selon les diktats d’une oligarchie économico-financière. Mais en quoi consiste cette fameuse crise, hurlerez-vous? En l’aplanissement de la réalité humaine en termes strictement économiques clamerai-je (à noter que l’économie en soit n’est pas un problème. Le fondamentalisme économique, oui!).

Certains me reprocheront de faire dans le zèle généraliste, voire dans la simplicité universalisante. Peut-être. Mais à peine. D’autres me calomnieront en toute impunité, chose qui ne me gène guère. Au-delà des divergences d’opinions, je persiste à croire que le centre névralgique de cette crise sociale est essentiellement lié à une « valeur » abusivement cartésienne et terriblement écrasante, à savoir cette tendance choquante à tout inclure dans la grande mosaïque du monde économique – mosaïque qui est d’une nature atrocement complexe et très certainement décourageante pour le ou la citoyen(ne) averti(e), désireux(se) d’y voir plus clair afin de pouvoir réfléchir ce système qui régule les moindres faits et gestes de son existence et ce, qu’il ou qu’elle vive dans les quartiers huppés de Stockholm ou bien dans les bidonvilles de Cité Soleil.

L’Être humain, ce bipode rationnel et utile.

C’est donc de cette légitimité sacralisée que découle le règne omnipotent de l’économie, pure création de l’homme mais supposément « neutre » et « indifférente » face à ses propres actions et conditions. Tous les aspects d’une société y sont ainsi filtrés et façonnés selon les bons vouloirs de cette divinité des temps modernes. Qu’il s’agisse du transport, de l’industrie forestière, de l’art, de la santé, de l’éducation, de la construction, des sciences pures, de la publicité, de la politique, du sport, de l’artisanat… il est continuellement et indéniablement question de rentabilité économique; en d’autres termes, de monnayer les actions de l’homme jusqu’à ses profondeurs les plus abyssales. Et c’est dans cette optique purement positiviste que s’inscrit le modèle éducationnel offert à la jeunesse estudiantine québécoise, mais également canadienne et états-unienne et britannique, etc. Un modèle éducationnel qui priorise assurément les compétences au savoir, puisqu’un savoir, s’il n’est pas appliqué, n’est aucunement quantifiable ni même observable dans un budget semestriel. Par conséquent, basta les idées. Basta la pensée critique. Basta tout ce qui est du domaine de l’intériorité.

Qu’en est-il alors des peurs et des joies, de la motivation et des appréhensions, des frissons qui peuvent nous parcourir l’échine à la vue spectaculaire des perséides ou à celle de notre mère, agonisante, dans les limbes des salles d’urgences, de notre aptitude à ressentir de l’empathie, de regarder l’autre comme un voisin et non comme un concurrent, de prendre le temps de souffler, de rire, de pleurer, de considérer le pourquoi de nos existences, de nous questionner sur la mort, de la craindre pour ensuite la maudire, pour ensuite l’accepter, d’aimer nos enfants et de les voir s’épanouir dans leurs carrières d’artistes, d’enseignants, de charpentiers, d’informaticiens ou quelques soient leurs passions (puisqu’une carrière se doit d’être une passion, sinon, à quoi bon)? Qu’en est-il de toutes ces « autres choses » qui font de nous des êtres humains dans notre affect, dans nos contradictions, dans nos espoirs et nos rêves? Qu’en est-il de cette dimension du réel qui n’est pas uniquement économique et qui, pourtant, rempliera la très grande majorité de notre court passage sur Terre? Qu’en est-il de toutes ces expériences riches en émotions, qui insuffleront un sens à nos vies, qui nous donneront une direction, une raison d’être et qui, dans la majorité des cas, seront forgés et cristallisés par une éducation adéquate? Il ne s’agit plus ici de légitimer ou non la pertinence de la hausse des frais de scolarité selon une seule et unique lorgnette explicative – soit celle de l’économie ‒, mais plutôt de transcender cette vision monolithique afin de reconsidérer le modèle de l’éducation sous une approche pluraliste, qui saura rallier les différents aspects d’un être humain tout en l’intégrant de la meilleure manière qui soit dans son environnement social. Et j’insiste sur l’appellation d’être humain et non pas sur celle de produit, désignation tristement utilisée dans le milieu des hautes instances bureaucratiques des Universités québécoises.

Une idéologie, de par sa nature, réduit les diverses possibilités à une seule, soit celle qu’elle privilégie. Malheureusement, c’est de cette extraordinaire réduction dont il est question aujourd’hui, à l’ère de la modernité, cette mère de la plus crasse et insidieuse inégalité sociale, c’est-à-dire celle qui transforme l’homme en un être de plus en plus individualiste, égocentrique et agressif, puisque mu par ses seuls et uniques intérêts personnels; celle qui transforme l’homme en un bipode rationnel et utile. Fait à noter très intéressant, les pays (pour la plus part Européen) qui adhèrent au modèle de la gratuité scolaire témoignent d’un bien plus petit écart entre les inégalités observées et ce, à tous les niveaux de la société!

Fragmentation et unité.

Le dégel ou non des frais de scolarité peut, d’emblée, se présenter comme un problème social plus ou moins grave, ne s’adressant qu’à ses simples protagonistes, soit les étudiants et étudiantes, mais il m’apparait évident qu’il ne s’agit pas ici d’un problème sectorisé, indépendant et imperméable à l’ensemble de la collectivité et que, bien au contraire, ce même problème s’insère très étroitement dans un plus vaste panorama. Les écologistes nous apprennent que les écosystèmes évoluant dans leurs milieux naturels sont tous étroitement reliés par un équilibre fragile, faisant en sorte que la nature, à l’instar de la société, prend le visage d’une grande unité organique et non pas celui d’un tout morcelé par ses différentes parties. Or présentement, dans le paysage politique du Québec et du Canada, c’est le modèle contraire qui fait figure d’autorité quant à la conception de société. De ce constat, point de vision unitaire à l’horizon. Seulement des cas isolés. Comme celui des jeunes universitaires et collégien(ne)s en grève. En somme, dans une perspective d’un « en devenir » ‒ et non pas dans celle de l’ « ici et maintenant » ‒, cette hausse vertigineuse des frais de scolarité (augmentation de 75% étalée sur 5 années) affectera beaucoup plus que les seuls secteurs des institutions universitaires et collégiales, des étudiant(e)s qui les côtoient et de leurs futurs statuts de contribuables. Dans les faits, elle affectera l’ensemble du corps social, c’est-à-dire, cette grande unité organique.

Pour l’instant, l’issu de cette impasse semble toujours plongée dans un épais brouillard, Mme Beauchamp ayant réaffirmé à maintes reprises sa position intransigeante à l’égard des revendications étudiantes, soit le maintien de la hausse des frais de scolarité. Pourtant, que le gel perdure ou « dégel », la fin de cette guerre de nerfs ne se terminera que par la mise en action d’un choix politique et donc, collectif, peut-être (espérons-le!) au détriment de tous ces pourvoyeurs du libre arbitre à tout prix, trop occupés à penser leurs existences en termes de statistiques, d’utilité, de performance, de solvabilité et quoi d’autre encore. Bref, il s’agit ici de la mise en action d’un choix politique qui sera à l’image du monde que l’on voudra bien créer et qui sera, surtout, à l’image de celui que nous lègueront aux prochaines générations. Pour être encore plus clair, NOUS avons, aujourd’hui même, la possibilité, d’une part, de laisser nos enfants s’endetter abusivement ou, d’autre part, de leur offrir le droit de s’éduquer gratuitement.

En guise de conclusion, je demeure convaincu que cette mobilisation grandissante qui se déroule présentement au sein du mouvement étudiant, mais également au sein du corps professoral (puisque plusieurs enseignants et chargés de cours appuient ouvertement et publiquement la grève), est l’effet d’une crise infiniment plus globale, ébranlant les fondements même de nos humanités, diminués que nous sommes par notre incapacité à s’inscrire dans un « nous » symbolique, par notre foi aveuglante en la sacrosainte croissance économique, par notre manque de cœur. De ce fait, un changement d’envergue s’impose et c’est précisément pour cette raison, qu’à l’heure actuelle, la rue est prise d’assaut par ceux et celles qui aspirent à le provoquer.

Jonathan Quesnel,

Scénariste et étudiant en sciences des religions à l’Université du Québec à Montréal.

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Le tribunal de la raison (encore une lettre à Martineau)

Monsieur Martineau!

Vous citez dans une même entrevue Marc Laurendeau et Groucho Marx sans les nommer, probablement pour laisser croire au public de TLMEP que vous avez un joli brin d’esprit, que vous êtes, en quelque sorte, plus intelligent que Voltaire ( homme de lettres français du Siècle des lumières, c’est-à-dire le 18e). En ce sens, il appert que vous ne recherchez pas la délibération, mais plutôt, que vous cherchez à épater les spectateurs d’une populaire émission de variétés, la plus consensuelle qui soit. Vous faites des plaisanteries volées.

Vous a-t-on déjà entendu citer Rousseau ou Adam Smith, Marx, Nietzsche, Aron, Foucault, Debord, Bourdieu, Chomsky? Bien sûr que non. Lorsque l’on s’appuie sur un philosophe, un sociologue, un historien, etc. c’est pour étayer son argumentaire. Mais d’arguments, vous n’en avez pas le moindre. Votre constante rhétorique de l’homme de paille, vos jugements de valeur soutenus par quelques anecdotes impertinentes, vos citations cachées vous mériteraient une mention E (pour échec) dans tous les cours de toutes les facultés de toutes les universités du monde.

Il serait biaisé de vous qualifier d’ennemi des étudiants. Vous êtes bien plutôt l’ennemi de la raison.

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22 mars

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200 000 personnes qui jurent que le mouvement ne s’essoufflera pas. Ça fait chaud au coeur de ceux qui en ont un!

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La Parabole du macaroni et l’esprit de sacrifice: réponse à Martineau

Dans sa réplique aux étudiantes et étudiants publiée son blogue le samedi 24 mars, Richard Martineau a su résumer en deux phrases l’essentiel d’un conflit intergénérationnel :

« Or, je persiste et signe. Quand jétais étudiant, je navais pas les moyens daller manger sur la terrasse dun resto chic dOutremont. On vivait à 5 dans un appartement minable et on mangeait du macaroni. Et je navais pas les moyens de macheter les gadgets de lépoque. Je me suis serré la ceinture, jai INVESTI dans mon avenir, et aujourdhui, je suis heureux davoir fait ces SACRIFICES. »

Cette parabole du macaroni et des sacrifices, elle m’a été servie de nombreuses fois par mon père (sauf que dans son cas, c’était des toasts au beurre de pinottes.) Dans le temps, des dires même du paternel, la population étudiante était pour la grande majorité jeune et sans le sou. Issue de familles nombreuses et de milieux très modestes, elle n’a pu compter pour financer ses études d’aucun autre soutien que celui que le gouvernement d’alors avait jugé bon d’instaurer, sous la forme de prêts et bourses couvrant de misère ses besoins de base.

Ses études terminées, mon père a reconduit ce même esprit de sacrifice dans sa carrière. Le plus clair de mon enfance, il a fait le sacrifice de sa vie de famille pour monter une entreprise qui, bien qu’elle lui bouffa 6 jours de sa semaine pendant plus de 10 ans (le 7e, il dormait…), nous sortirait éventuellement tous du besoin. Ma mère a pour sa part fait le sacrifice de son autonomie financière et de son épanouissement professionnel, en grande partie parce que la garderie était hors de portée du budget familial. Motivés par le désir de nous donner mieux que ce qu’ils avaient reçu eux mêmes, mes parents se sont investis et ont fait des sacrifices pour nous assurer, à ma sœur et moi, un avenir meilleur.

Ces générations (les boomers et les X, pour faire dans les catégories) ont effectivement mangé plus que leur part de macaroni pour se sortir de leur condition de pauvreté. Dans le Québec émergent post 1967, c’était ce qu’il y avait de plus digne à faire. Ces sacrifices consentis étaient alors porteurs de promesses et de sens parce qu’ils permettait réellement, à qui en avait la chance et s’en donnait la peine, d’améliorer sensiblement ses conditions de vie. Ces hommes et ces femmes ont en bonne partie réussi, et nous leur devons pour cela admiration et respect.

Self made man exemplaire, mon père a su me transmettre l’amour du travail et la valeur de l’effort. Je dois à ces valeurs transmises, ainsi qu’à l’appui financier familial (dont je n’ai par ailleurs jamais abusé, trop consciente, voire vaguement honteuse, de dépenser l’argent durement gagné) d’avoir poursuivi jusqu’aux cycles supérieurs mes études postsecondaires.

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Le statut d’étudiant couvre aujourd’hui des réalités sociales complexes; la majorité travaille à temps partiel alors il n’est pas rare pour des travailleurs de tous domaines de souscrire à la formation continue. Les parents étudiants sont nombreux, les familles monoparentales aussi. Il y a des quarantenards en réorientation de carrière, des retraités qui veulent se garder l’esprit aiguisé… Les études n’ont plus grand chose à voir avec une étape de vie bien cadrée concernant une population dans la 20aine cheminant vers la vie « adulte » de travailleurs actifs.

J’ai passé les huit dernières années de ma vie dans l’université, partageant mon temps entre les études et et le travail (précaire) d’assistance à l’enseignement et à la recherche. Je suis également devenue maman au début de la maîtrise. Foi de mère-étudiante-travailleuse, aucune instance gouvernementale sensée soutenir l’accès aux études et/ou les nouvelles familles n’est réellement adaptée à la complexité des situations où peuvent se retrouver les étudiantes et les étudiants aujourd’hui. Le Programme de prêts et bourses (conçu pour le modèle étudiant des années 1980), comme le Régime québécois d’assurance parentale (conçu pour des travailleurs 9 à 5), sont des instances qui ne se parlent pas entre elles, alors qu’elles sont impliquées de concert dans la situation financière de milliers de personnes et de leurs familles.

Vous parlerai-je de ces quelques 7000$ durement gagnés en bourses d’excellence, pour lesquelles j’ai tout donné pendant le BAC (foutue moyenne!), et qui m’ont été retranchés cette année sur les Prêts et bourses gouvernementaux parce que j’ai eu le malheur de gagner plus de 12 000$ en 2011? (Pour l’année en cours, la carte de crédit couvre le gouffre financier.) Vous parlerai-je de toutes ces bourses d’excellence (environ 80% des offres) auxquelles j’étais inadmissible parce que j’ai eu le malheur de commencer la maîtrise à temps partiel pour cause de maternité? (Malgré un dossier académique exemplaire, un cheminement atypique est une garantie de non reconnaissance au sein des structures universitaires.) Vous parlerai-je, enfin, de ces quelques 600$ que m’a réclamé le Régime québécois d’assurance parentale parce que j’ai osé travailler une poignée d’heures réparties sur trois mois en même temps que je recevais des prestations de nouvelle maman? Prestations qui, soit dit en passant, sont calculées dans les mêmes proportions pour tout revenu annuel de 50 000$ et moins… Juste pour le plaisir de l’exercice, vous calculerez 55% d’un salaire hebdomadaire pour un revenu annuel de 8000$, pour voir combien ça paye de macaronis… Heureuse d’être encore à deux pour parer solidairement aux absurdités du système, car ces mesures de « soutien », qui ont fortement tendance à s’annuler les unes les autres, maintiennent même les plus avisé.e.s dans une précarité financière constante.

Mais il y a pire. Les professeur.e.s sont de plus en plus nombreux et nombreuses à dénoncer la mauvaise gestion et le mal-financement des universités. Les tâches bureaucratiques paralysent les activités d’enseignement. Des millions de dollars sont accordés à la recherche alors que des professeurs, libérés de leurs obligations, s’occupent à gérer des sommes astronomiques en subventions de recherche à l’extérieur de la communauté universitaire, souvent aux profits d’intérêts privés à peine déguisés. Ajoutez à cela toutes les bêtises cumulées par le gouvernement en place, qui vend à rabais les ressources naturelles, se fout des urgences environnementales, impose des taxes sur la santé, fait des cadeaux fiscaux aux entreprises, offre des contrats sans appel d’offre… Ça sent le copinage, le conflit d’intérêt. Ça sent fort. Même que ça empeste…

D’un côté ces tristes clowns nous servent des sermons peu crédibles, alors que de l’autre se multiplient les études, les expertises, les avis indépendants soutenant qu’un bon ménage de nos institutions (la fin des chaînes de privilèges et de la corruption) et une meilleure redistribution de la richesse (plus de paliers d’imposition, une meilleure gestion de nos ressources naturelles, la taxation responsable des entreprises) suffiraient largement à couvrir la gratuité scolaire, l’accès à la santé, voire tous les programmes sociaux confondus.

Et l’on vient nous haranguer à propos de la nécessité de faire des sacrifices et d’investir dans notre avenir. On nous dit, non sans condescendance, que nos cheminements n’auront pas de valeur à moins que nous ne gagnons ce que nous avons à force de souffrances et de renoncement. Le problème est précisément là : faire des sacrifices en tant qu’étudiant dans les années 80-90, c’était porteur de sens. Faire des sacrifices pour faire plaisir à ce gouvernement vendu, corrompu et clos sur lui même, alors qu’année après année, les riches continuent s’enrichir, s’appropriant sous le couvert du privé la richesse collective tout en répandant comme une évidence la rhétorique du manque (les fameuses parts de gâteau, ou ces bouts de « couverte » que chacun tire de son bord), cela n’a absolument aucun sens.

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Je trouve ignoble que la réalité d’étudiants plus aisés festoyant sur les terrasses chic d’Outremont vienne masquer celle, beaucoup plus commune, d’étudiants-parents-travailleur surnageant session après session dans l’absurdité bureaucratique et la précarité financière qu’elle engendre. Hier comme aujourd’hui, les étudiants pauvres, seuls ou en famille, restent chez eux et font des sacrifices. Ils ont en fait le choix entre manger du macaroni ou combiner dans des proportions destructrices travail et études. Dans les deux cas, ils se ruinent la santé physique et psychologique au nom d’une hypocrite nécessité qui ne profite finalement qu’aux mieux nantis. Et ils ne sont pas seuls dans cette condition aliénante : allez demander à tous ces travailleurs et travailleuses désillusionnés, dépossédés de la moindre prise sur leurs conditions de travail, peut être même aux portes du burn-out, si les sacrifices auxquels on leur demande de consentir leur donnent l’impression d’investir dans leur avenir.

Dans la foulée de la Révolution tranquille, la réforme de l’université et le programme de prêts et bourses mis en place par le gouvernement avait pour objectif premier de soutenir par le moyen de l’éducation le développement et le bien-être général de la société québécoise. Il est navrant de constater qu’aujourd’hui, beaucoup de celles et de ceux qui ont bénéficié de ce soutien de leur propre société se désolidarisent de ceux qui les ont suivis, arguant qu’ils ne souffrent pas assez pour avoir le droit de se plaindre. Je vois mal pourtant comment une personne constamment placée en position de survie, assurée d’être endettée plus de la moitié de sa vie (après le prêt étudiant viendra l’hypothèque…), peut constituer une richesse pour sa société. Avec la parabole du macaroni et l’esprit de sacrifice qu’elle prône, c’est tout le projet d’amélioration du monde pour les générations futures qui est foulé aux pieds.

En définitive, il me semble plus qu’approprié de parler de parabole en ce qui concerne les macaronis de Martineau. Il y a dans cette valeur immense accordée au sacrifice un relent de religiosité catholique qui consacre la valeur des réalisation impliquant peine, souffrance et abnégation. Jésus, ce fier sémite révolutionnaire, n’a-t-il pas souffert sur la croix pour nous sauver tous? J’imagine pourtant mal notre Sauveur revenir à Pâques dire à ses apôtres que leurs efforts pour aider les plus démunis ne valent rien, à moins qu’ils n’aillent se faire crucifier eux aussi.

Le jour où le gouvernement aura fait ses devoirs de transparence, de responsabilité et de redistribution solidaire de la richesse, le jour où les riches (les particuliers comme les entreprises) feront eux aussi leur juste part, le jour où nous gérerons respectueusement nos richesses collectives en les considérant pour ce qu’elles sont vraiment : le patrimoine des générations à venir, alors je promets solennellement de consentir dans la joie à tous les sacrifices nécessaires pour soutenir l’épanouissement de ma société. D’ici là, je veux pouvoir vivre sainement, prendre le temps qu’il faut pour être vraiment présente auprès de mon enfant, m’impliquer bénévolement dans ma communauté, partager de bon cœur et sans compter le peu que j’ai et nourrir mes amitiés, celles qui restent quand le soutien de l’État fout le camp, parce que ce sont à mes yeux les moyens les plus sûrs d’investir réellement dans mon avenir et celui des miens.

Je ne servirai pas la parabole du macaroni à ma fille. En fait, je ne lui souhaite rien de moins qu’une existence plus douce que la mienne, plus stable et moins stressante, plus épanouie. Avec un peu de chance, peut-être arriverai-je à lui partager l’amour du travail et la valeur de l’effort qui m’ont été légués, de sorte qu’elle puisse un jour trouver autant de fierté et de plaisir que moi à faire de son mieux. En lui donnant l’exemple, peut-être même arriverai-je à lui transmettre un certain sens de la solidarité et de la responsabilité qui lui fera voir toute la pertinence et l’importance d’oeuvrer au bien-être de celles et ceux qui viendront après elle, malgré les difficultés et les sacrifices.

Émilie Dazé, citoyenne québécoise contre la hausse et POUR UN CHANGEMENT SOCIAL GLOBAL

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Un monde si proche – Richard Martineau et la baisse des pensions de vieillesse

Ce texte a beau être une fiction, toute ressemblance avec la réalité n’est pas du tout fortuite. Ce dialogue est un hommage que je dédie à tous les non-étudiants qui supportent notre lutte contre la hausse et qui comprennent que ce combat est celui de toute notre collectivité.

–          Toc toc toc.

–          …

–          Toc toc toc. Madame Lécuyer?

–         

–          TOC TOC TOC. Madame Lécuyer!

–          Ouayons…qu’est-cé…C’est qui?

–          C’est Richard Martineau, Madame. Je suis journaliste.

–          …

–          Je visite votre hospice pour connaitre l’opinion des résidents sur la baisse des pensions de vieillesse.

–          …Attendez minute. La dame ouvre lentement la porte.

–          C’était long! Vous vous prélassez souvent comme ça en plein après-midi?

–          Ben…je faisais une petite sieste…j’étais fatiguée…

–          Ah oui! « Fatiguée » [il fit des guillemets avec ses doigts]. En tout cas…Comme vous l’avez vu aux nouvelles, le gouvernement n’a plus assez d’argent pour payer vos pensions de vieillesse astronomiques comme avant. Il commençait à être temps que vous fassiez votre part pour les finances publiques, vous trouvez pas?

–          Franchement, Monsieur! J’avais déjà assez de misère à arriver avec ce qu’on me donnait, je sais pas comment je vais faire astheure…

–          Ah! Oh! Lâchez-moi avec ça! La baisse va juste vous enlever une dizaine de piastres par jour. C’est quoi dix piastres pour vous dans le fond?

–          Mais je vous le dis que j’arrive pas! Presque toute mon argent va à la résidence. Il me reste pas grand-chose à la fin du mois.

–          Ouais, ouais…c’est ça. Moi là, à chaque fois que je va au centre d’achats, y’a plein de petits vieux qui jasent à’ journée longue en buvant des cafés! Ils se font faire des permanentes, ils s’achètent des gratteux, ils vont flasher dans les bingos…Coupez là-dedans pis vous allez voir que vous avez les moyens de faire votre part! Lire la suite

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Économie du savoir : le crépuscule du règne des idiots utiles

Au cours de cet article, je laisserai partiellement de côté mon statut d’étudiant en sciences des religions pour parler à titre de conseiller en dotation, emploi que j’occupe avec passion depuis près d’un an. Comme vous pouvez l’imaginer d’après le titre qui coiffe ce billet, le sujet auquel je souhaite m’attaquer est pour le moins controversé. Si je devais le résumer en une phrase, je pourrais dire qu’il s’agit d’une réponse aux bien-assis qui reprochent aux étudiants de revendiquer des changements au niveau du financement des institutions scolaires alors qu’ils auraient un train de vie supposément aisé. J’avancerai l’hypothèse que l’accès aux technologies de pointe, le questionnement de l’autorité ainsi que le développement d’une vie sociale riche sont des facteurs essentiels d’épanouissement à la fois collectif et économique.

Les changements radicaux qu’entraîne l’économie du savoir au niveau de l’emploi exigent une révision profonde de notre perception de l’éducation et, par la bande, de la condition d’étudiant. Cette façon d’appréhender notre rapport à la connaissance et au travail s’oppose en tout point à la vision d’esclave-satisfait-de-son-sort qui a encore cours – bien que plus pour très longtemps – dans le discours ambiant. Dans ce mode de pensée ancré dans l’imagerie du porteur d’eau qui en arrache, mais qui est fort comme un cheval, on estime qu’il serait parfaitement naturel que les étudiants vivent dans la plus abjecte pauvreté, s’alimentant de façon malsaine (i.e. « Mangez du Kraft Diner! Ça ne vous tuera pas! »), s’aliénant complètement de toutes formes de développement technologique (i.e. « Ça n’a pas de bon sens! Ils ont des téléphones cellulaires! ») ou encore se gardant de participer à tous types de rassemblement social (i.e. « Ça se dit pauvre, mais ça va prendre des cafés ou de la bière en gang! »), sans quoi ils n’auraient pas la légitimité nécessaire pour émettre la moindre revendication.

En mon sens, la meilleure façon de rater la révolution de l’information et, implicitement, de plonger le Québec dans un marasme économique sans précédent, serait de mettre en pratique ce programme ascétique de benêt docile. En effet, le travail, dans ce que nous pouvons nommer l’économie du savoir, requiert des aptitudes très différentes de ce qui fut autrefois demandé des salariés. À ce titre, on peut noter que ce que l’on appelait il y plusieurs années recrutement de main d’œuvre est désormais désigné par acquisition de talents. Comme nous le verrons à l’instant, cette translation au niveau des termes n’est probablement pas survenue en vain. Lire la suite

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Mon injuste part

Mme. Beauchamp,

J’ai pris la décision d’écrire à propos de ma situation  non pas parce que mon cas est original, mais plutôt parce qu’il me parait extrêmement banal, reflétant, en substance, les problèmes que rencontrent la majorité des étudiants du Québec.

À la fin du mois dernier, le sévisse d’aide financière aux études m’a fait savoir que je n’avais plus accès au programme de prêts et bourses parce que mon salaire annuel était suffisamment élevé pour que je puisse faire ma juste part dans le financement de mes études. Bien entendu, l’AFE ne s’est pas contenté de couper mon accès au programme : on m’a aussi fait savoir, peut-être à la blague, sait-on, que je devais impérativement leur rembourser 750$ versé en trop. Au fait, il se chiffre à combien mon salaire annuel astronomique? 12 000$. Là-dessus, on juge que je devrais retrancher 8 000$ de frais de scolarité si l’on inclut la hausse projetée, ce qui me laisse la rondelette somme de 4 000$ (6,67 iPads ou 0,26 char de l’année).

Cette décision arrive à quatre cours de la fin de mon Bac. Une session : c’est tout ce qu’il me restait à faire pour terminer mes études. Notez bien que j’utilise l’imparfait car je ne vois absolument pas comment je pourrais trouver à temps l’argent nécessaire à la poursuite de mon parcours académique. Lire la suite

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